Trente ans d’exploration des dorsales océaniques : diversité et localisation des systèmes hydrothermaux.

En 1977, les premières sources hydrothermales de haute température (350°C) sont découvertes dans les grands fonds océaniques sur la dorsale volcanique du Pacifique Est. Avec cette découverte spectaculaire, les scientifiques démontrent pour la première fois qu’une partie importante de la chaleur terrestre est extraite par de l’eau de mer surchauffée. On estime actuellement que 25 % de la chaleur terrestre est évacuée par les fluides.

Fumeurs blancs photographiés par le Nautile au cours de la campagne Nautilau dans les zones volcaniques à proximité des îles Tonga (Sud Ouest Pacifique). Profondeur : 1700 m.

Diversité minérale et biologique

Les implications de cette découverte ont rapidement dépassé les domaines de la géophysique et de la tectonique des plaques. En effet, l’énergie chimique contenue dans les fluides permet le développement d’une intense activité microbienne et de communautés animales spécialisées et originales qui s’alimentant grâce à l’énergie géothermale.

De plus, les métaux extraits des profondeurs de la croûte et du manteau terrestres s’accumulent pour former des amas de sulfures métalliques qui représentent des ressources minérales potentielles. Dans certains contextes, les roches du manteau terrestre sont portées à l’affleurement. Les fluides issus des réactions de l’eau de mer avec ces roches sont très enrichis en hydrogène, méthane et hydrocarbures plus lourds.

 

Dorsales et volcans sous-marins : des zones riches en sources hydrothermales

En 35 ans d’exploration, les scientifiques ont découvert 90 champs hydrothermaux actifs.

Les sources se situent préférentiellement sur les dorsales océaniques, aux frontières des plaques, là où l’activité volcanique et tectonique est la plus intense. Les dorsales sont le lieu de formation de la croûte océanique et d’écartement des plaques constituant la croûte terrestre.

Après la découverte de champs hydrothermaux sur les dorsales rapides (écartement des plaques entre 6 et 18 cm/an), les explorations menées dans les années 80 et 90 ont permis la découverte de sources chaudes sur les dorsales lentes s’écartant à des vitesses inférieures à 6 cm/an. A la fin des années 80, et durant les années 90, les explorations ont montré que les sources hydrothermales étaient également très fréquentes sur les rides volcaniques sous-marines situées en arrière des grandes fosses (en particulier dans l’ouest du Pacifique en arrière de la fosse des Mariannes et de la fosse de Tonga). Certains volcans « intraplaques » situés non plus aux frontières de plaques comme les dorsales, mais à l’intérieur, sont également le lieu d’une activité hydrothermale sous-marine.

Sur toutes ces sources, les scientifiques ont observé une faune et une flore microbienne associées à ces sorties de fluides hydrothermaux. Actuellement, 580 espèces animales ont été décrites dans ces habitats.

Actuellement, tous les systèmes volcaniques sous-marins ont montré qu’ils étaient associés à une activité hydrothermale intense. Une grande partie des 60000 km de dorsales entourant le globe reste encore à explorer, les recherches se poursuivent donc sur les dorsales Atlantique, Indienne et Pacifique. Afin de mieux comprendre les processus, les interactions et les variations temporelles de l’activité hydrothermale et son incidence sur l’activité biologique, de nombreux travaux sont également menés sur des chantiers spécifiques.

Les systèmes hydrothermaux : quand les roches interagissent avec la mer

On sait aujourd’hui qu’il existe une très grande variabilité dans la composition des fluides, des précipités hydrothermaux et des populations animales associées aux sources.

Cette diversité dépend principalement de deux paramètres : la pression et la nature des roches qui réagissent avec l’eau de mer.

La pression agit sur la température d’ébullition des fluides. Or, les sources hydrothermales sont présentes de la zone littorale jusqu’à 4100 m de profondeur. Si la température des fluides dépassent la température d’ébullition de l’eau de mer, les fluides seront alors plus (saumures) ou moins salés (vapeur condensée) que l’eau de mer. A 3000 mètres par exemple, la température d’ébullition de l’eau de mer est supérieure à 400°C. La nature des roches lessivées au cours de la circulation hydrothermale est le deuxième facteur influant sur les compositions des fluides et des dépôts hydrothermaux. Les fluides et les dépôts hydrothermaux issus des interactions de l’eau de mer avec les laves basaltiques (pauvres en silice), les laves rhyolitiques (riches en silice), les sédiments, ou les roches ultrabasiques issues du manteau ont des compositions extrêmement diversifiées.

A long terme, l’exploration des grands fonds océaniques est une aventure qui doit se construire dans le cadre de coopérations internationales. La France, associée aux États-Unis, a été à l’origine de la découverte des systèmes hydrothermaux. Pendant une vingtaine d’année les pays maîtrisant la technologie des submersibles habités (France, États-Unis, Japon, Russie, Canada) ont eu un accès privilégié à l’étude des systèmes hydrothermaux. L’arrivée des engins télé-opérés a élargi ce groupe avec l’Allemagne, l’Angleterre, la Chine et la Corée du Sud.

 

30 ans de coopération franco-russe

Une coopération forte existe depuis plus de 30 ans entre la France et la Russie pour l’exploration et la connaissance de la dorsale Médio-Atlantique, lieu de séparation des plaques Amérique et Afrique. Ainsi, depuis 1969, plusieurs campagnes communes ont été menées sur les navires russes et français.

L’objectif de cette coopération est de mieux connaître l’océan profond et ses relations avec l’intérieur du globe, de recenser les ressources minérales potentielles et de comprendre l’écologie des systèmes hydrothermaux. Cette connaissance sera essentielle pour une exploitation raisonnable des ressources minérales grands fonds et la préservation de notre environnement.

Durant les années 70 et 80, la coopération s’est focalisée sur l’étude des roches volcaniques. L’objectif était de comprendre les mécanismes de fusion du manteau produisant les laves, elles-mêmes à l’origine de la croûte océanique. Puis, au début des années 90, les recherches se sont orientées vers l’étude des mécanismes de transferts chimiques par les circulations hydrothermales. Plus particulièrement, les scientifiques français et russes se sont intéressés au transfert des métaux et à leur accumulation sous forme d’amas de sulfures polymétalliques, ces derniers constituant une ressource minérale potentielle. Enfin, l’ouverture de la coopération vers les systèmes hydrothermaux a élargi le champ disciplinaire de recherche vers des études sur la biodiversité des grands fonds et l’étude des bactéries extrêmophiles.

De nombreux organismes russes sont impliqués dans la campagne Serpentine : l’Institut Vernadsky de Moscou (géochimie des roches), l’Institut de géologie des ressources minérales de Moscou (étude des minéralisations polymétalliques), l’Institut Shirshov de Moscou (biologie), l’Institut Winogradsky de Microbiologie à Moscou (microbiologie), et l’Institut de géologie océanique de Saint Petersbourg (géochimie des l’eau et des précipités hydrothermaux).