Les matériaux marins

Auteurs : Claude AUGRIS et Laure Simplet (Ifremer-REM/Geo-Ocean/ODYSC)

ZI Pointe du Diable,
CS 10070 - 29280 Plouzané

Télécharger la version .pdf d'application/pdf Article paru dans la revue Géosciences n°17 du BRGM, octobre 2013

L'inventaire des granulats siliceux et calcaires

Origine des matériaux

Les matériaux sous-marins extraits actuellement en France sont les sables siliceux et calcaires, et les algues calcaires (maërl[1]).

Les granulats siliceux sont destinés au secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) ;

Les substances calcaires, dont le maërl, sont utilisées principalement en agriculture, pour l'amendement des sols, et dans le traitement des eaux.

Ces matériaux se sont accumulés à la faveur de processus continentaux ou marins.

  1. Dans le premier cas, il s'agit le plus souvent d'alluvions qui résultent de l'altération et de l'érosion de roches, puis de leur transport et dépôt dans les vallées d'un ancien réseau fluviatile (figure 3a), creusé au cours des phases de régression (périodes glaciaires) du Quaternaire, lorsque le plateau continental était émergé. Ce phénomène a permis l'accumulation de sédiments de toute origine, mais aussi de minéraux lourds tels que la cassitérite (Sn), le rutile (Ti), le platine, l'or, le diamant...
  2. Dans le second cas, il s'agit de dunes hydrauliques ou de bancs, d'importance variable, construits sous l'effet des courants (dérive littorale, houle, marée) qui ont redistribué une partie des sédiments (figure 3b).

Techniques de reconnaissance

Les techniques de reconnaissance utilisées pour la mise en évidence de ressources en matériaux marins reposent sur deux types de méthode : indirecte et directe.

  • La méthode indirecte consiste en une prospection à l'aide d’outils géophysiques (sismique réflexion) qui permet, dans un plan vertical, de déterminer l’épaisseur et la structure des sédiments meubles, ainsi que la morphologie du substratum rocheux sous-jacent (figure 4).
  • Cette technique ne donne, par contre, aucune information sur la nature des sédiments, ce qui impose un calibrage des sismogrammes par des méthodes d’investigations directes telles que les carottages (figure 5).

Ressources et Réserves

Les études entreprises dans le cadre de l’inventaire national des matériaux marins (CNEXO, 1969-1980) ont permis d'évaluer à environ 33 milliards de mètres cubes le volume de sédiments meubles disponibles. Les travaux n'ont porté que sur une partie des zones côtières comprises entre 10 et 50 m de profondeur, à l’intérieur des eaux territoriales (12 milles nautiques[2]).

Plus récemment, en 2005, à la demande du ministère chargé de l’Écologie, le potentiel de ressources a été réévalué à la lumière des études réalisées en particulier par l’Ifremer et quelques universités (Bretagne Occidentale, Bretagne Sud, La Rochelle, Bordeaux). Ainsi, sur les façades Manche orientale et Loire-Gironde, jusqu’aux limites de la zone économique exclusive française (environ 100 m de profondeur), les ressources sont estimées à 170 milliards de mètres cubes (figure 6). L’extension de cet inventaire, en cours pour l’ensemble des façades Manche et Atlantique, a permis de réévaluer le potentiel en sédiments meubles à 540 milliards de mètres cubes.

Si les ressources sont abondantes, les réserves exploitables sont beaucoup plus faibles et tiennent compte de différents paramètres :

  • la profondeur d'eau accessible aux navires sabliers (dragues), actuellement 50 m environ ;
  • la présence d'activités humaines (pêche, câbles, routes maritimes, zones de la défense nationale) ;
  • l'existence de secteurs réservés, reconnus comme essentiels à l'équilibre écologique du milieu marin (frayères, flore et faune benthiques assurant le renouvellement de la nourriture des espèces commerciales, nourriceries) ;
  • l'existence de secteurs protégés en vertu de dispositions européennes et nationales (ZNIEFF, Natura 2000, AMP) ;
  • la nature des sédiments, qui doivent pouvoir être utilisés directement, sans rejet.

 Toutes ces contraintes, qui sont évolutives dans le temps, limitent les réserves à environ 2 % du volume inventorié des ressources.

Les gisements exploités

L'exploitation des sables marins est relativement ancienne puisque l'on trouve dans la plupart des ports français des récits sur les gabarres ayant servi au chargement et au transport du sable.

Les gisements exploités aujourd’hui se répartissent entre Dieppe et la Gironde (figure 7) et présentent des caractéristiques variées : profondeurs comprises entre 5 et 50 mètres, superficies entre 0,2 et 50 kilomètres carrés et distances à la côte variant entre 0,3 et 38 kilomètres.

Les sites d'extraction occupent 128 kilomètres carrés des fonds marins (soit 0,03 % de la surface de la ZEE métropolitaine). Si pendant longtemps la façade atlantique a fourni les deux tiers des granulats siliceux extraits en France, l'ouverture de deux sites d'extraction et l'instruction en cours de trois concessions en Manche feront prochainement de cette dernière la région la plus productrice. La Bretagne demeure la seule région exploitant les matériaux calcaires (sables coquilliers). Il existe également une exploitation de sables coralliens en Guadeloupe, ainsi qu’une petite activité d’extraction des sables siliceux à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les exploitations utilisent presque toutes la technique de la drague aspiratrice en marche (figure 8) ; un navire sablier traditionnel à la benne travaille encore en Bretagne Nord pour l'extraction du maërl et du sable coquillier.

La quantité annuelle de matériaux autorisée à l’exploitation, déterminée sur la base des quotas délivrés par arrêté préfectoral en 2013, est de 10,5 millions de mètres cubes (dont 2,5 % pour les matériaux calcaires). Par ailleurs, une importation de l’ordre du million de mètres cubes arrive dans les ports de la Manche Est. Une dizaine d’entreprises, dont des groupements, sont liées à cette activité qui fait intervenir environ 6 500 personnes (marins, fonctions administratives, commerciales et techniques) (source UNPG).

 

L'exploitation des granulats marins est régie par le Code minier, qui impose l’octroi de trois documents :

  • un décret ministériel pour l’obtention de la concession, dont la durée peut être demandée jusqu’à 50 ans ;
  • un arrêté préfectoral d’ouverture de travaux miniers, qui fixe les conditions d’exploitation, les quotas autorisés et les modalités de suivi environnemental ;
  • un arrêté préfectoral d’occupation temporaire du domaine public maritime, qui définit le montant de la redevance dite « domaniale » (fixée par mètre cube extrait et par type de matériau) pour les extractions ayant cours à l'intérieur des eaux territoriales (12 milles nautiques).

Depuis 2006, les demandes de concession et d’ouverture de travaux peuvent être déposées conjointement (décret 2006-798 du 6 juillet 2006).

Les répercussions sur l'environnement

L'exploitation du fond de la mer, quels que soient son objectif et les précautions prises, entraîne des modifications temporaires ou permanentes du milieu marin. C’est un système complexe où les facteurs physiques et biologiques sont interdépendants (figure 9).

Au cours de l'extraction de granulats, l'eau est le premier milieu altéré, par la création d'une turbidité : en profondeur, par le passage du bec d'élinde, en surface par le rejet des particules fines avec l'eau de la surverse (ou déverse).

Si faible soit-elle, on ne peut tenir cette turbidité pour négligeable du fait de ses implications sur la flore et la faune benthiques. Les particules fines forment un panache qui, entraîné par les courants, se dépose à nouveau soit en mer, pour être éventuellement remobilisé, soit sur le littoral. À la suite de l'extraction, un changement de la morphologie du site exploité peut modifier le régime des courants de fond. En modifiant ainsi l'équilibre des sédiments superficiels, ces extractions pourraient ainsi influer sur l'érosion côtière, particulièrement dans le cas d'exploitation à proximité des côtes et à faible profondeur. De plus, les excavations peuvent rendre ces secteurs temporairement impropres au chalutage.

Les effets des exploitations sur les ressources biologiques sont soit immédiats, donc manifestes, soit à long terme, auquel cas seul un suivi sérieux permettrait d'en mesurer l'importance.

Parmi les répercussions immédiates, la destruction du peuplement benthique dans la zone d'exploitation est indéniable. Cette destruction affecte essentiellement les invertébrés, qu’ils soient exploités par l'homme ou sources de nourriture pour certains poissons. Il convient de citer également le risque de destruction des frayères pour les espèces qui pondent sur le fond (hareng en Manche orientale et en Mer du Nord), dont l'intérêt commercial est important, et des nourriceries où se concentrent les jeunes individus.

Les répercussions à plus long terme sont moins aisées à mettre en évidence. Elles sont difficiles à différencier des variations saisonnières ou annuelles naturelles.

C'est pourquoi le Code minier, qui régit l'activité extractrice en mer, impose la fourniture d'une étude d'impact détaillée (dont le contenu est défini par le Code de l'environnement) lors de toute demande de permis de recherche, de concession et d'ouverture de travaux. Cette étude d'impact s’attache au recensement bibliographique et à l’analyse des documents, à l’acquisition de données nouvelles dans les domaines de la géologie, de la physique, de la biologie benthique et de l’halieutique, et à leur interprétation.

Pour le domaine géologique, un des principaux outils de caractérisation de l'environnement marin est le sonar à balayage latéral. Il permet la cartographie des fonds, sur le plan horizontal, en fournissant une image « acoustique » (sonogramme), comparable à une photographie aérienne. L'assemblage des sonogrammes aboutit à une mosaïque d'images qui indique la répartition des différentes formations superficielles et la morphologie détaillée du fond (figure 10). Afin de vérifier les hypothèses de la reconnaissance par cette technique et de connaître la nature des constituants, il est impératif de calibrer les données par des prélèvements ponctuels à l'aide d'une benne et parfois par l'observation au moyen d’une caméra vidéo.

L'intérêt des informations acquises par le sonar à balayage latéral pour la reconnaissance des sites réside dans :

  • la réalisation d'un état de référence des fonds marins directement concernés par le projet d'exploitation, mais aussi des fonds environnants ;
  • la délimitation précise des différents types de fonds meubles, utiles à la définition des relations sédiments-faune (habitats) dans le cadre de l’étude d’impact ;
  • la connaissance des conditions hydrodynamiques (courants, houles) et des directions de transit sédimentaire permettant d'évaluer le risque de l'extraction sur la stabilité du littoral ;
  • l'apport d'informations pratiques pour le dragage ultérieur : morphologie et courant sur le fond, identification de secteurs exploitables en individualisant les ensembles sableux des autres faciès sédimentologiques et des affleurements rocheux.

Sur la base de l’avis que l’Ifremer fournit aux services de l’État lors de l’instruction officielle des demandes, un suivi environnemental est proposé, le plus souvent à échéance quinquennale.

Conclusion

En France, la part des matériaux marins dans la production totale de granulats reste faible : elle n’est que de 2 %. À titre de comparaison, la Grande-Bretagne utilise environ 15 % de sables et graviers siliceux marins. Au rythme actuel d'exploitation, les réserves de granulats marins, actuellement connues, représentent environ un siècle de production.

Cependant, cette réserve est de plus en plus sollicitée.

Déjà, des demandes de permis de recherche de grande ampleur, sur des surfaces de 400 km² environ, sont déposées, laissant augurer une augmentation de la production de matériaux d’origine marine. Dans ce contexte, l’État, par le biais des ministères chargés de l’Écologie et de l’Industrie, a initié en 2011 une « stratégie nationale pour la gestion durable des granulats terrestres et marins et des matériaux et substances de carrières », qui devrait à terme permettre un accès aux gisements dans une logique de développement durable.

[1] La directive européenne Habitats considère les bancs de maërl comme un habitat nécessitant protection et gestion ; de ce fait et à l'instar de la majeure partie des états membres, la France a programmé l'arrêt de son exploitation fin 2013.

[2] 1 mille nautique = 1 852 mètres