Récifs et climat

Un mois dans les îles Éparses pour révéler les secrets des récifs et coraux 

Contact : Stéphan Jorry 

Localisées dans la partie sud-ouest de l’océan Indien, les îles Éparses sont de véritables sentinelles tant du point de vue environnemental et climatique que biologique, géologique, océanographique, atmosphérique ou encore anthropologique. De tels territoires faiblement anthropisés, voire exempts de présence humaine, offrent une palette rare et précieuse de sujets d’études pluridisciplinaires.

Afin de fixer un cadre logique de recherche qui devra répondre aux attentes de l’État en matière de connaissance, notamment dans le domaine de la biodiversité, les Terres australes et antarctiques françaises, gestionnaire des îles Éparses, ont demandé en 2009 le concours du CNRS.

Cette réflexion a conduit au lancement d’un appel à projets, qui fait suite à un appel à manifestation d’intérêt, fruit d’une réflexion inter-organismes, coordonnée par le CNRS pour le compte d’un consortium de partenaires : AAMP, FRB, IRD, TAAF.

Sur les 36 projets déposés, 19 ont été retenus, pour un soutien pluriannuel de 2011 à 2013 comprenant la mise à disposition du Marion Dufresne ainsi que des frais de mission et du petit équipement.

Le Marion Dufresne, navire logistique et océanographique des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) est parti le 1er avril 2011 pour une rotation autour des îles Éparses (océan Indien). Cette rotation, organisée par les TAAF, a fait suite à un appel à projets “Iles Éparses”, coordonné par le CNRS, qui vise à développer un corpus de données et de connaissances sur ces îles.

Les îles Éparses, un territoire d’outre-mer français dans l’océan Indien 

Les îles Éparses sont des petites îles du sud-ouest de l’océan Indien situées autour de Madagascar. On distingue cinq entités au sein de cet ensemble éclaté : l’île Europa, l’île Bassas-da-India, l’île Juan-de-Nova, les îles Glorieuses (composées par l’île Grande Glorieuse et l’île du Lys), et enfin l’île Tromelin.

Les îles Éparses constituent l’un des cinq districts des Terres australes et antarctiques Françaises (TAAF), une collectivité française d'outre-mer qui ne compte aucune population permanente. Les quatre autres districts sont : Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam dans la zone subantarctique et la Terre Adélie en Antarctique.

De par l’éloignement relatif des différentes îles qui la composent et vis-à-vis des pays et territoires voisins, la zone économique exclusive des îles Éparses est très étendue avec 640 400 km2 au total. Avec les zones économiques exclusives des îles australes (Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam), les TAAF se placent au deuxième rang de la plus grande zone économique exclusive française (2,39 millions de km² au total), derrière la Polynésie.

Les îles Éparses sont toutes d’origine coralliennes, comme en témoigne leur morphologie, sous forme d’atoll pour l’île Bassas-da-India, les îles Glorieuses, l’île Juan-de-Nova et l’île Europa, ou sous forme d'atoll surélevé pour l’île Tromelin. Cumulant 44km2 de superficie, le point culminant ne dépasse pas quelques mètres d’altitude. Situées à des latitudes comprises entre 22° Sud pour l’île Europa et 11° Sud pour l’île du Lys des îles Glorieuses, les îles Éparses sont soumises à un climat tropical et situées sur la trajectoire des cyclones provenant du nord-est. 

Une zone particulièrement intéressante pour la recherche scientifique

L’océan Indien, qui s’étend des tropiques au domaine subantarctique, présente un gradient latitudinal unique, support d’une richesse biologique exceptionnelle et de conditions environnementales très variées. La France, à travers ses territoires de l’océan Indien, est le seul pays en mesure de conduire des recherches scientifiques le long d’un gradient latitudinal et climatique aussi vaste.

Les îles subantarctiques font ainsi l’objet de très nombreux travaux de recherches depuis plusieurs décennies grâce aux efforts conjugués des TAAF et de l’IPEV. En revanche, les caractéristiques intrinsèques des îles Éparses et de leur environnement restent très peu étudiées.

Des enjeux scientifiques majeurs

Les changements climatiques et l’élévation du niveau de la mer sont aujourd’hui un enjeu sociétal majeur. Durant le dernier siècle, le niveau marin est monté de 1 à 3 mm par an, principalement en raison de l’expansion thermique des océans, et au cours de la dernière décennie, de la fonte associée des glaces.

Les calottes polaires représentent le risque le plus important pour l’avenir du fait de leur volume total (64 m équivalent niveau marin). Ainsi, des projections concernant le prochain siècle tendent à montrer que la montée du niveau marin liée à l’expansion thermique des océans pourrait doubler mais que la contribution des calottes polaires pourrait augmenter de 18 à 20 fois.

Toutefois, de grandes incertitudes concernent la dynamique des calottes polaires, en particulier des calottes groenlandaise et antarctique, et l’évolution du système climatique.

L’amélioration de ces estimations nécessite l’obtention d’enregistrements de variations du niveau marin passées associées à des épisodes de réchauffement climatique à des échelles de temps comparables à celles concernées par les changements actuels, permettant ainsi de compléter les mesures réalisées par voie instrumentale depuis à peine plus d’un siècle. La Dernière Déglaciation (entre 25.000 et 6.000 ans avant nos jours) représente l’évènement de ce type le plus récent et constitue, par conséquent, un chantier d’étude remarquable.

Les récifs coralliens constituent d’excellents enregistreurs de facteurs climatiques forçant de basse (104-105 ans) et de haute (102-104 ans) fréquence, respectivement à l’échelle des édifices récifaux et à celle des colonies coralliennes. Depuis une dizaine d’années, ils tiennent une place centrale dans la reconstitution des variations passées du niveau marin et des paramètres environnementaux (notamment les paléotempératures) au cours du Quaternaire. Ainsi, les enregistrements les plus précis des fluctuations du niveau des mers, tant en termes d'amplitude que de chronologie, sont déterminés à partir de la datation par les méthodes uranium/thorium et radiocarbone de coraux fossiles ayant vécu dans une faible profondeur d'eau.

Les travaux réalisés pendant la rotation 2011 du Marion Dufresne

À partir de l’étude des récifs coralliens fossiles et des environnements sédimentaires associés, l’objectif du projet REEFCORES (REEFs and CORals from the EparseS) est de reconstituer les variations du niveau marin et les changements environnementaux et climatiques de la période du Quaternaire terminal à nos jours et d’en comprendre l’impact sur les systèmes coralliens des îles Éparses.

Durant la première rotation du Marion Dusfresne qui s’est déroulée du 01 au 26 avril 2011, les efforts de l'équipe REEFCORES se sont concentrés sur l’étude des récifs coralliens fossiles préservés sur les îles et des environnements sédimentaires associés, localisés dans les lagons et au niveau des couronnes récifales.

De nombreux prélèvements de sédiment (à la benne en mer et au carottier à main sur le littoral) ont pu être menés, ainsi qu’un échantillonnage très resserré des affleurements de coraux et de plages fossiles. Dans l'ensemble, toutes les îles montrent une très grande diversité sédimentologique qui semble être en partie influencée par la géomorphologie des récifs et par des amplitudes importantes des marées. Les premiers relevés effectués sur les massifs coralliens fossiles tendent à confirmer que les îles Eparses sont des lieux stratégiques pour étudier les hauts niveaux marins de l'Holocène (il y a quelques milliers d’année) ainsi que ceux du dernier interglaciaire (il y a environ 125.000 ans).

Cette mission d'exploration a été l'occasion pour les scientifiques de différentes disciplines (biologie, géologie, archéologie, etc.) de confronter leurs résultats et leurs approches dans l’étude de ces environnements naturels encore préservés des effets anthropiques.

La mutualisation des moyens à la mer ainsi que les échantillonnages dans des zones spécifiques à chaque programme ont permis une très bonne cohésion entre les différentes équipes de recherche et ont favorisé de nouvelles collaborations.

L’ensemble des échanges, scientifiques mais aussi humains, entre des chercheurs travaillant sur des disciplines aussi variées restera pour chaque membre de l'équipe REEFCORES une expérience très enrichissante.

L’expédition du Marion Dufresne autour des îles Eparses a marqué le démarrage du programme REEFCORES. Avec cette première mission, les chercheurs ont ainsi découvert des étendues très vastes dont l’exploration sera intéressante pour l’étude.

Les îles Eparses sont en effet très réduites en taille (0.5 à 35 km²) mais les récifs qui les entourent délimitent des lagons qui dépassent parfois 250 km².

Les quelques jours passés autour de ces îles ont tout juste permis à l’équipe du programme REEFCORES de parcourir les différents environnements sédimentaires et récifaux à terre et en mer.

Ces premiers résultats vont permettre aux scientifiques de préciser les travaux à réaliser dans les années à venir, l’objectif final de l’étude étant d'appréhender l'évolution récente des niveaux de la mer lors des derniers milliers d'années et de comprendre la capacité d'adaptation de ces milieux récifaux face à ces changements globaux.

Une équipe internationale et pluridisciplinaire

L’équipe REEFCORES est constituée de membres d’instituts français - le CEREGE, unité mixte de recherche CNRS/Collège de France/IRD/Universités Aix-Marseille 1 et 3, l’Ifremer et l’IUEM et de trois laboratoires étrangers dépendant de l’IFM-GEOMAR (Kiel, Allemagne), de l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas) et de l’Université de Rice (Houston, USA) qui se sont associés pour mener à bien ce projet pluridisciplinaire impliquant des géologues, des géochimistes et des géophysiciens.

Les îles Éparses, un site clé de la reconstitution du niveau marin et des changements climatiques au cours de la dernière déglaciation

La reconstitution précise des variations du niveau de la mer implique l’obtention d’enregistrements dans des contextes tectoniques variés (îles volcaniques, microcontinents) et dans des sites relativement éloignés des régions préalablement englacées (« far-field ») afin de déconvoluer les signaux tectoniques et isostatiques.

En s'appuyant sur un grand nombre de simulations prenant en compte l'ensemble des incertitudes associées aux paramètres d'entrée des modèles GIA (Glacial Isostatic Adjustment), il a été démontré que la zone située autour des Seychelles était idéalement localisée pour reconstituer avec précision les variations du niveau marin au cours de la dernière déglaciation. Ainsi, dans cette région, le niveau marin est quasi-équivalent au niveau eustatique (autrement dit, la composante isostatique y est très faible) et, par ailleurs, la sensibilité des modèles GIA à l'imprécision des paramètres d'entrée (modèle de glace et rhéologie du manteau terrestre) est très limitée.

Les îles Glorieuses, en particulier, les plus septentrionales du canal du Mozambique, occupent une situation idéale dans cette zone et, du fait de la présence de récifs coralliens bien développés sur leur pourtour, constituent un site clé pour reconstituer les variations du niveau marin depuis le dernier âge glaciaire.

Le canal du Mozambique, soumis à un climat tropical, offre des sites d’étude répartis sur une large ceinture latitudinale (11 à 22°S) et donc propices à une reconstitution paléoclimatique concernant la moitié de la ceinture intertropicale. Les fluctuations locales des courants marins et des échanges thermiques avec l’atmosphère dans ce transect de l’océan Indien vers l’Atlantique sud est une zone extrêmement importante pour la circulation océanique globale et représente une zone clé pour ce qui concerne les échanges de chaleur entre les zones tropicales et les zones subtropicales. Les températures des eaux de surface dans le canal du Mozambique sont étroitement liées aux précipitations et à la variabilité des températures dans les régions est africaines. Les récifs coralliens présents sur les côtes est africaines montrent des réponses différentes de l’ENSO (El Niño Southern Oscillation) et la variabilité des températures des eaux de surface de l’Océan Indien du fait de leur situation océanographique particulière. Il n’existe à ce jour aucun enregistrement à résolution saisonnière dans cette partie de l’océan Indien et ce type d’enregistrement est absolument nécessaire afin d’évaluer la variabilité à long terme des climats africains en relation avec l’océan Indien et à l’ENSO. Les sites d’Europa et des Glorieuses correspondent à des sites océaniques dépourvus de toute influence côtière.