Sulfures polymétalliques hydrothermaux

Depuis trente ans, on a exploré le fond des océans et déniché près de 150 sites hydrothermaux. Lorsque l’on découvrit sur certains sites la présence de dépôts riches en éléments métalliques, il apparut que les fonds océaniques pouvaient receler de véritables mines ! Nous avions à faire au phénomène de minéralisation hydrothermale : au cours de la circulation hydrothermale sont extraits, transportés et concentrés des métaux qui se déposent sous forme de sulfures métalliques, associations moléculaires de métaux avec du soufre, dont les fumeurs regorgent. On avait donc découvert les sulfures polymétalliques hydrothermaux.

 

 Fumeurs actifs dans le bassin de Lau (îles Tonga, Sud-Ouest Pacifique)
 Les cheminées sur la gauche sont principalement constituées de sulfure de zinc, de cuivre et fortement concentrées en or.

Exploration des sources de ce minerai : tout débute dans les profondeurs de la Terre…

Loin en dessous de la croûte terrestre, à quelques kilomètres de profondeur, la chambre magmatique renferme de la lave en fusion à 1 200°C. L’eau de mer, froide et pauvre en métaux, mais riche en sels, pénètre le long des failles et fissures et se réchauffe fortement à l’approche de la chambre magmatique. Dès que sa température dépasse 160°C, du sulfate de calcium CaSO4 précipite sous forme d’anhydrite, tandis que le sulfate dissous SO42– est progressivement réduit en sulfure d’hydrogène H2S qui reste dissous dans l’eau.

En même temps, il se produit d’intenses réactions chimiques qui altèrent fortement les roches traversées et aboutissent à une perte totale du magnésium, lequel entre dans les minéraux résultant de l’altération la lave. Une des conséquences de ces réactions est l’acidification du fluide, augmentant sa capacité à solubiliser les métaux contenus dans les roches. La forte salinité de l’eau de mer facilite également le transport des métaux sous forme de sels chlorés. Il se génère ainsi des fluides acides, « réduits », chauds (350°C), dépourvus de magnésium et chargés en autres métaux.

 

 Schéma d'une coupe transversale de dorsale rapide: les phénomènes volcaniques et hydrothermaux se déroulent dans le graben (fossé) axial, lieu d'écartement des plaques tectoniques.

Les fluides hydrothermaux, au contact des roches profondes, s'enrichissent en métaux et subissent des mouvements de convection.
En remontant à la surface, au niveau de l'axe d'accrétion, les métaux précipitent sur le plancher océanique sous forme d'accumulations de sulfures, une partie des métaux se disperse sur plusieurs dizaines de kilomètres dans le panache hydrothermal.
De faible densité, ces fluides remontent et subissent des mouvements de convection, pour ressortir sous forme de sources chaudes en formant des fumeurs, dans les zones de fissuration les plus récentes de la dorsale. Au contact de l’eau de mer environnante (2°C), ces fluides hydrothermaux refroidissent rapidement et les sulfures métalliques solides cristallisent sur le plancher océanique sous forme de grandes et fascinantes cheminées.

 Gîtologie

Un groupe d’une dizaine de fumeurs noirs de 2 cm de diamètre émettant un fluide contenant 100 ppm de métaux à 2 m/s, produit 250 tonnes de sulfures métalliques par an. Un champ actif peut regrouper une cinquantaine de ces fumeurs et la durée de vie du champ peut être de plusieurs dizaines de milliers d’années.

Dans un tel système, environ 1,5 millions de tonnes de sulfures (principalement sulfures de fer, FeS2) peuvent être produites tous les cent ans. On estime toutefois que plus de 95 % des métaux sont dispersés dans l’eau de mer. Il faut donc un piège efficace et des configurations géologiques particulières pour retenir un pourcentage plus important des métaux.

 

Events hydrothermaux (cheminées et fumeurs) dans le bassin de Lau (îles Tonga, Sud-Ouest Pacifique).

Lorsque les systèmes sont stables, se forment des monts de sulfures polymétalliques pouvant dépasser 70 mètres de haut et quelques centaines de mètres de diamètre. Ces amas de sulfures peuvent totaliser des dizaines de millions de tonnes. Les volumes, tonnages et concentrations en éléments valorisables de tels dépôts sont identiques à ceux de nombreuses mines exploitées à terre. Les monts sont constitués, en surface, d’éboulis de cheminées cassées cimentées par des circulations ultérieures. Ils sont surmontés d’un complexe de cheminées actives sur une surface de quelques dizaines de mètres carrés. Sur certains sites, les dépôts s’organisent au contraire dans et autour des dépressions formant le cratère du volcan. Les monts se forment non seulement par accumulation de cheminées cassées en surface, mais aussi par précipitation de minéraux à l’intérieur, ainsi que par remplacement du substratum. Le résultat final est une accumulation de sulfures massifs.

Ainsi l’activité hydrothermale est un important mécanisme de concentration des métaux, qui s’accumulent sous forme d’amas de sulfures polymétalliques : une mine pour l’homme !

Localisation

Au cours d’explorations, menées en 1962, furent observées les premières minéralisations hydrothermales, associées à des saumures chaudes (70°C), à l’axe de la mer Rouge. S’en suivit la découverte en 1978 des premiers fumeurs noirs (350°C) sur la dorsale du Pacifique Est, à près de 3 000 mètres de profondeur, avec leurs amas de dépôts sulfurés.

Ces sulfures polymétalliques observés pour la première fois représentaient seulement quelques dizaines de milliers de tonnes. Mais comme on sait que les fluides les plus profonds sont les plus aptes à transporter les métaux (fortes pressions donc hautes températures d’ébullition), il est certainement intéressant de plonger beaucoup plus bas. C’est ainsi que l’on a trouvé dernièrement les dépôts les plus riches, en descendant jusqu’à 4 000 mètres de profondeur. On connaît maintenant plusieurs champs hydrothermaux, sur lesquels les dimensions et teneurs des minéralisations sont similaires à celles de mines exploitées à terre, c’est-à-dire plusieurs millions de tonnes.

 

Zones à nodules polymétalliques et principaux champs hydrothermaux connus dans les océans.

Pour découvrir les gisements de sulfures polymétalliques, les explorateurs ont dû sillonner le paysage volcanique sous-marin, dans des environnements bien diversifiés : dorsales rapides, dorsales lentes, bassins arrière-arc et volcans intra-plaque. Dans le monde de l’océan profond, les risques de surprise sont quasi infinis.

Les sulfures hydrothermaux se sont révélés être des minerais très riches, davantage encore que les nodules et les encroûtements cobaltifères : l’ensemble cuivre + zinc atteint 20 % dans les bassins arrière-arc et 15 % sur les dorsales lentes (Atlantique) et rapides (Pacifique Est). De plus, la plupart des sites sont fortement enrichis en argent et souvent en or. Certains sites spécifiques de l’Atlantique, associés à des roches du manteau, sont également très riches en cobalt.

On sait maintenant que les sulfures polymétalliques ont tous été extraits et transportés par des fluides hydrothermaux, donc selon un processus unique. Pourtant, ils présentent des compositions très variables. En fait, les facteurs déterminant leur nature – substrat et métaux – sont à chercher dans l’environnement géodynamique, la nature du substratum affecté par les circulations hydrothermales, la profondeur d’eau, les phénomènes de séparation de phase ou encore la maturité des dépôts… autant de paramètres différents, autant de possibilités de composition pour nos minerais.

 Intérêt de compagnie minière et enjeux géopolitiques

Du point de vue des métaux, l'économie européenne est largement dépendante, souvent à plus de 90 % de ses importations.

Les ressources minérales océaniques présentent ainsi des atouts intéressants pour l'Europe du point de vue de ses approvisionnements en matières premières. Toutes les recherches ne pourront être menées par un seul pays. L'Europe devra se positionner du point de vue géopolitique par rapport aux autres grands pôles mondiaux et financer des recherches dans les eaux internationales, au lieu de se restreindre, comme c'est le cas actuellement, à ses seules eaux économiques. C'est un enjeu majeur si l'Europe veut conserver sa position de premier plan mondial du point de vue scientifique et technologique et se positionner sur les enjeux économiques que constituent ces ressources potentielles.

Depuis quelques années, l'industrie minière commence à s'intéresser aux minéralisations hydrothermales.

Des permis d'exploitation ont été délivrés en 2010 et 2011 sur les champs hydrothermaux de la mer Rouge et de Papouasie, situés respectivement à 2000 et 1700 mètres de profondeur. Plus récemment, en juillet 2011, l'AIFM a délivré quatre nouveaux permis d'exploration dans les eaux internationales. Deux de ces permis concernent les nodules polymétalliques du Pacifique. Les deux autres permis ont été attribués, pour la première fois, pour l'exploration des sulfures hydrothermaux dans l'océan Atlantique pour la Russie et dans l'océan Indien pour la Chine.

En juillet 2012, la France a obtenu de l'AIFM un contrat d'exploration pour une zone de l'Atlantique nord.

Dépôt d'une demande de permis minier en mai 2012